Poli_Technic_Art\MediaLab ...

Zidane le Parvenu : un texte de la sociologue Nacira Guenif Souilamas

Et pour compléter un texte de la sociologue Nacira Guenif-Souilamas :
"Pour être un fils d’immigré naguère indigène d’Algérie, joyau de l’empire colonial français, Zineddine, Yazid, Zidane n’ignore sans doute pas que l’on ne quitte jamais la condition de transfuge de classe. Le parvenu n’est jamais tiré d’affaire en raison même de la mobilité imprévue qu’il s’est offert, de la transgression qu’il s’autorise, du doute qu’il laisse planer sur sa docilité et sa politesse. Pas même lorsqu’il est sacré, consacré et sacralisé à l’instar d’un dieu. La sacralisation impose de savoir rester à sa place. Or, en dépit de ce privilège exorbitant que d’aucuns considèrent comme indu, le dieu vivant ne sait pas se tenir. En dépit, ou en raison même de cet itinéraire improbable ? Voilà l’arrière-pensée qui n’a cessé de tarauder les commentateurs du coup de tête..."
Zidane s’est payé le luxe, manifestant ainsi la liberté qu’il prend avec son statut d’exception, de déroger aux règles de la bienséance, non pas tant footballistiques, puisqu’elles sont bien fragiles si l’on considère le niveau de langage qui sévit sur le terrain et dans les tribunes lors d’un match, mais aristocratiques que doit observer le transfuge bénéficiant d’un statut dérogatoire. La raison pour laquelle il n’aurait pas dû se laisser aller à ses « instincts naturellement violents de tueur », si l’on en croit ses collègues et amis, vient de ce qu’en dépit de sa nature et à condition de savoir la réprimer comme il convient, il a été accepté dans le cercle fermé des personnes en vue. Visible, il lui revient de faire la preuve qu’il sait surmonter vertueusement toutes les épreuves. La visibilité du parvenu fils d’indigène-immigré n’est pas celle des « peoples » qui n’ont que faire de manifester leur vertu puisqu’il leur suffit de se montrer sous toutes les coutures et sans retenue. Le régime de Zidane est tout autre, il lui faut redoubler de politesse et de discrétion, règle à laquelle il se conforme vraisemblablement par penchant personnel dans sa vie privée, mais qui lui est constamment rappelé par souci de l’étiquette dans sa vie publique. Euphémiser son être, arrondir les angles, polir son apparence comme le suggère cette remarque d’un journaliste qui énumérant les personnes présentes lors de son dernier match madrilène disait du père du héros : « …et le père de Zizou, toujours aussi discret ». Passer de l’invisibilité imposée au père à la surexposition exigée du fils conduit l’un et l’autre à être passé maître en matière de présentation de soi. C’est dans ce constant paradoxe attaché à sa condition de transfuge emblématique que réside le double discours qui considère le geste violent comme inexcusable mais la personne comme pardonnable. Devenu ce qu’il est, une icône de la réussite la plus éclatante, Zidane demeure cependant le semblable des jeunes hommes habitant les quartiers populaires qu’il a déserté. Si d’aventure, il s’était avisé de l’oublier, les mots qui ont provoqué ce coup de tête l’ont rappelé à ce cousinage lointain et tenace. Que leur teneur soit avérée ou supposée en dit long sur les attributs qui lui sont attachés, comme des gamelles. Jaloux de l’honneur de ses femmes, mère et sœur -à cet égard la question demeure de savoir pourquoi l’honneur de sa femme n’a pas été évoqué par la rumeur ou entaché par l’Italien en verve-, musulman donc terroriste en puissance, sont autant de stéréotypes qui témoignent de la banalisation de l’islamophobie. Ainsi, il est bien un garçon arabe comme les autres, prisonnier de sa nature, incapable de policer son comportement et de civiliser ses manières. C’est ainsi qu’il a été dépeint à l’envi par une presse partagée entre la fascination pour le fauve encore sauvage que rien ne semble pouvoir dompter et la réprobation devant l’ingratitude d’un fils mal élevé que la France chérit tant. C’est pourquoi, il sera beaucoup pardonné à celui qui fait rêver, puisqu’il reste encore la possibilité de sévir à l’encontre de tous ceux qui, tenus par la même origine et astreints à ses vicissitudes, ne connaîtront pas la même renommée. Et s’il ne sera rien ou si peu pardonné à ces Français sans lustre et à leurs successeurs de toutes les couleurs, du moins s’ils ne sont pas expulsés au cours de cet été de tous les dangers, c’est parce qu’il faut des trésors d’énergie pour pardonner à Zidane ce geste formidable qui en un instant lui a fait reprendre place aux côtés des sans qualité et des sans nom dont il a longtemps partagé la vie et s’est extrait par la magie de son jeu. Peu importe que parmi les enfants expulsés aujourd’hui et demain se comptent les êtres d’exception, chacun exceptionnel, de demain. Être de basse extraction, ce qui revient de nos jours à venir d’ailleurs, a toujours été mal considéré, il y va de toute une vie pour avoir raison des préjugés opposables à celui qui entreprend de s’en défaire ou de s’en jouer. En réagissant aux mots assenés 10 minutes avant la fin du dernier match qu’il jouait, « l’ange bleu » s’est rapproché de ce qui a façonné son enfance et il a fait un pas de côté dans cette ascension irrésistible. Marquer une pose, voilà qui se comprend pour un retraité, si jeune soit-il. C’est le moment de tourner le regard vers ce qui devait être ignoré ou du moins tu, donner à voir ce qui devait être gommé pour être accepté. En dépit de ses efforts, son corps parle pour lui et même lorsque son génie opère, il n’en demeure pas moins le fils de son père. Français ou à la rigueur Kabyle plutôt que Arabe ou Algérien ou encore musulman : autant de qualificatifs qui lui auront été attribués au gré des victoires et des échecs, le fléau penchant vers la ressemblance louée ou l’altérité réprouvée selon les circonstances. Président en 1998, déchu en 2002 et redevenu le « garçon arabe » inutile et déloyal, Zidane achève en 2006 un parcours où se mêlent et se confondent toutes ces figures qui l’ont fait et au-delà desquels il s’est inventé. Pour autant, il ne peut pas être un exemple pour les autres, il ne peut être qu’une exception à la règle. Aussi, était-il bien inutile de le rappeler à l’ordre de la bienséance et de le tancer comme un enfant pour marquer la hiérarchie qui sépare les bien nés des ennoblis. Les plaideurs peuvent être rassurés, ils ne manqueront pas d’occasions de donner des leçons et de morigéner tous ces jeunes qui ne savent pas se tenir, auxquels ils ont pu, durant une brève parenthèse, assimiler le champion. Ils pourront continuer à se féliciter que les discussions de comptoir, qu’elles soient planétaires ou locales, sur l’événement Zidane puis sur d’autres, couvrent le bruit et la fureur des guerres d’hier et de demain qui atteignent d’autres Arabes, d’autres Noirs sous d’autres cieux, comme jadis les gladiateurs incarnaient le spectacle dans l’arène, procurant ainsi les jeux que les tyrans complétaient avec le pain. Si j’en crois les dossiers de gueules cassées de l’éducation nationale qui postulent pour rempiler à l’université, les petits marquis de l’étiquette républicaine ont encore de beaux jours et de belles chroniques devant eux : ils peuvent avoir à l’œil ces futur étudiants et leurs comparses des banlieues pour ne pas les laisser briller en dépit de leur désir, leur ténacité et leur intelligence. L’exception est sauve ! PS : J’ai assisté à la finale en famille en Italie au milieu d’italiens qui, au sommet d’une liesse communicative et bien méritée, n’ont pas oublié de nous serrer dans leurs bras, nous assurant que : « me dispiache ! »

Trackbacks

Aucun trackback.

Les trackbacks pour ce billet sont fermés.

Commentaires

Aucun commentaire pour le moment.

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.

Le Radioblog de Poli_Technic_Art_

Le Wiki de Politechnicart_

Podcasting : "Ecouter la page" en cliquant sur cette image :

Videoblog : "regarder cette page" en "collant" ce lien dans :

FireANT

Télécharger (et partager) les productions des étudiants et les supports de cours en P2P/Bittorrent : Le BlogTorrent de Politechnicart.net

Contact : root AT politechnicart POINT net

 

GeoURL

 

Les Mobiles Tag de Politechnicart

 

Calendrier

« juillet 2006 »
lunmarmerjeuvensamdim
12
3456789
10111213141516
17181920212223
24252627282930
31